Jean Lepage, Développement économique – CLD Gatineau, Gatineau, QC, partenaire local de la FCJE

Pour réaliser un projet dans un monde sans surprise, les spécialistes en gestion recommandent de débuter par une minutieuse étude de marché, de procéder ensuite à la détermination du créneau de marché le plus porteur et à l’analyse qui permettra de mieux connaître les points faibles de la concurrence, et de terminer ses démarches par la rédaction d’un plan d’affaires et la mise sur pied d’une équipe. Cette approche éprouvée est enseignée dans les meilleures écoles de gestion du monde entier.

Mais comment doit-on procéder quand on veut sortir des sentiers battus ou faire preuve de plus d’innovation? Comment lancer un projet et assurer sa survie dans un environnement incertain? Quelle est la meilleure façon de démarrer une entreprise, lorsque les renseignements qui nous permettraient de prendre une décision éclairée nous manquent et que les conditions économiques défavorables freinent notre lancée?

Les recherches de Saras D. Sarasvathy, professeure associée à l’école de gestion Darden de l’Université de Virginie, ont permis de cerner comment pensent et agissent les entrepreneurs chevronnés – ceux qui ont créé des entreprises de classe mondiale, réinventé les règles de leur industrie ou mis sur pied une constellation de nouvelles entreprises. Lorsque les vieilles méthodes d’analyse, de prévision, de modélisation d’affaires et d’allocation des ressources ne fonctionnent pas, ils utilisent alors la « logique de l’effectuation ».

Selon cette logique, un entrepreneur démarre un projet en faisant l’inventaire de ses moyens (nous en avons tous, même insoupçonnés) et en les utilisant pour créer des effets (ce que l’on peut faire avec nos moyens). Les effets ainsi obtenus deviennent alors de nouveaux moyens, lesquels permettent d’obtenir de nouveaux effets, qui définissent de nouveaux buts et ainsi de suite, jusqu’à ce que de nouvelles occasions soient créées. L’effectuation ouvre la porte aux possibilités, tandis que la causation (l’approche dite « prédictive ») focalise les efforts des entrepreneurs vers la concrétisation d’une seule possibilité.

Ainsi, au lieu de débuter leurs démarches en poursuivant un but précis, les entrepreneurs chevronnés favorisent l’émergence de possibilités en se lançant dans le feu de l’action. Plusieurs diront qu’il suffit d’être sur le marché pour voir plus facilement apparaître les opportunités. Plutôt que de tenter de dénicher des occasions offrant le meilleur rendement du capital investi, ils consacrent plus de temps à l’évaluation du niveau de perte acceptable. Plutôt que de tenter de trouver la solution parfaite, ils se contentent d’une solution appropriée à la situation. D’une manière ou d’une autre, la démarche des entrepreneurs n’a rien du Big Bang ou d’un moment de pur génie. Leur modèle d’affaires s’est plutôt développé peu à peu, en posant une action, puis une autre… pour devenir, avec le temps, un très grand concept. Finalement, ces entrepreneurs ont réinventé les règles de leur marché, sans l’avoir intentionnellement planifié.

Les entrepreneurs chevronnés ne sont pas différents de nous, sauf dans leur façon de penser. Ils n’essaient pas de prévoir l’avenir, mais tentent de le créer. Ils transposent leur pensée en action immédiate.

Que vous soyez gestionnaire ou entrepreneur novice, vous pouvez, lorsque vous êtes confronté à l’inconnu, suivre le même processus. Cette façon de lancer de nouveaux projets est la moins risquée et, en raison des résultats rapides qu’elle produit, elle s’avère la plus porteuse en termes d’innovation. L’approche repose sur ces trois principes :

  • Agir : déployer des actions qui font progresser l’idée
  • Apprendre : évaluer les effets que vous avez créés grâce à vos actions
  • Construire : répéter les étapes un et deux, jusqu’à ce que vous ayez trouvé une bonne occasion ou que vous deviez changer d’orientation

Privilégier l’action avant l’analyse, l’apprentissage et la prévision, peut vous sembler imprudent. Cependant, lorsqu’on aborde un projet par petites bouchées, tout en prenant le moins de risques possible, on favorise le passage entre l’intention et la création, permettant aux initiatives de prendre leur envol et de susciter l’innovation entrepreneuriale.

Il existe deux façons de poser une action effectuelle : interagir avec quelqu’un ou faire quelque chose. Si vous croyez que la planification et la modélisation d’affaires constituent des éléments essentiels pour devenir une entreprise de classe mondiale, sachez qu’à peine 12 % des entreprises inscrites dans la liste du magazine Inc. 500 ont réalisé une étude de marché officielle avant de démarrer leurs activités. Ces entrepreneurs ne font pas preuve de témérité ou d’insouciance. Ils privilégient les approches les plus sûres, en s’engageant dans une série de petites étapes rapides qu’ils poursuivent en appliquant ces quelques règles de base :

1. Utilisez les moyens que vous avez à votre disposition

Les entrepreneurs savent réunir les ressources dont ils ont besoin pour se lancer dans un nouveau projet. Cependant, les entrepreneurs chevronnés débutent en faisant l’inventaire de leurs propres moyens et en les utilisant pour franchir les étapes de leurs démarches. Ces moyens sont de natures diverses. Il peut ainsi s’agir de leurs passions, de leur formation et de leur expertise, de leur réseau de contacts (les contacts de leurs contacts), bref toutes les ressources auprès desquelles ils peuvent rapidement obtenir des conseils, des clients potentiels ou des informations stratégiques, à peu de frais ou même, gratuitement.

2.  Restez à l’intérieur des limites de votre perte acceptable

Bien qu’elle en comporte peu, l’approche agir-apprendre-construire n’est pas sans risque. Il importe donc d’évaluer, à chaque étape, le temps et l’argent que vous pouvez vous permettre de perdre, si vos démarches se concluaient par un échec. Votre réputation professionnelle doit aussi être prise en compte dans votre évaluation. Cette perte acceptable est liée non seulement à l’idée que vous poursuivez, mais à tous les projets que vous caressez, mais que vous n’avez pas le temps de réaliser.

3. Prenez les engagements qui vous permettront de franchir la prochaine étape

Dans un processus d’interaction, vous rencontrerez quatre différents types de personnes : celles qui souhaitent que votre projet se concrétise, celles qui veulent vous aider, celles qui n’ont pas intérêt à ce que vous le fassiez et, enfin, celles qui vous mettront des bâtons dans les roues. Ne laissez pas les deux derniers groupes ruiner votre motivation. Au lieu de tenter de vendre votre idée ou d’obtenir un engagement de tous ceux que vous rencontrez, évaluez le niveau d’engagement minimal requis pour vous procurer une marge de manœuvre. Repartir avec un conseil utile ou un nouveau contact d’affaires peut aussi être le résultat d’une rencontre fructueuse.

4. Engagez-vous avec des volontaires

Si vous décidez de pousser votre idée plus loin, n’hésitez pas à vous investir avec des gens qui vous aideront à concrétiser votre idée. Cherchez des gens qui partagent votre enthousiasme et sont prêts à s’engager avec vous. En revanche, vous devez leur démontrer votre propre engagement, proposer une démarche honnête et équitable et favoriser la collaboration. La cocréation est beaucoup plus intéressante que la compétition parce qu’elle peut entraîner vos idées vers des marchés insoupçonnés.

5. Misez sur des actions qui produiront des résultats rapides

En physique, le principe d’inertie est la résistance d’un corps à l’accroissement de la vitesse. L’entrepreneuriat est aussi soumis à cette loi de la nature. Les premières actions sont cruciales. Elles doivent être effectuées avec intensité. Plus vous générez des actions capables de produire rapidement des résultats, plus vous créez un effet d’entraînement contagieux. Misez sur cet effet et sachez qu’il sera toujours plus facile de voir les possibilités arriver, une fois sur le marché. Ouvrir la première porte est l’élément le plus important. Les possibilités offertes doivent correspondre à vos moyens, améliorer les choses autour de vous et vous permettre de construire quelque chose. Dès que vous voyez des résultats positifs, poussez votre idée, en faisant la prochaine action, puis celle qui suit. Si les résultats sont négatifs, profitez de cet apprentissage afin de réorienter vos actions. Chaque surprise, imprévu ou déception constitue une petite pépite d’or qui peut bonifier votre idée ou vous indiquer qu’il est temps de jeter la serviette, avant d’avoir trop investi. Petit conseil : si la perte acceptable semble trop élevée pour votre partenaire, suggérez‑lui de faire un plus petit pas.

6. Gérez vos attentes

Ne créez pas d’attentes trop élevées. Pensez que vous utilisez les premières étapes pour explorer les idées et générer des faits qui vous aideront à déterminer vos orientations. Dans quelle direction voulez-vous lancer votre idée? Quel marché semble le plus porteur?

Les entrepreneurs chevronnés ne délaissent pas nécessairement l’analyse au profit de l’effectuation. Ils connaissent l’utilité des deux approches et savent quand les utiliser à bon escient. À mesure que votre projet prend de l’ampleur et que vous disposez de plus en plus de faits, vous devez analyser ce qui est analysable et planifier ce qui est planifiable. L’approche effectuelle ne remplace pas l’approche prédictive, elle facilite plutôt l’action et augmente vos chances de créer des occasions d’affaires vraiment intéressantes.

Donc, la prochaine fois que vous désirez plonger dans un nouveau projet, analysez moins et agissez plus. Ainsi, de nouvelles portes s’ouvriront à vous.

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